Bruno Boudjelal

Date de Publication: 24 February 2010

Bruno Boudjelal, aujourd’hui photographe pour l’agence Vu, est parti en 1993 pour l’Algérie. Une terre qui lui était inconnue et qui traversait alors une période de trouble et de violence. Mais surtout, c'était la terre natale de son père. Il voulait retrouver sa famille paternelle et découvrir son histoire, pour finalement se retrouver plongé dans celle avec un grand « H » de ce pays.

Bruno Boudjelal, Restless Days: Algeria from East to West

Dans son livre « Jours Intranquilles », Bruno Boudjelal nous livre son expérience à travers des photographies, des mots et des documents. En quête d’identité, il nous emmène dans une aventure humaine et intime, nous montrant sous son éclairage singulier une Algérie en proie à une réalité troublante et brutale, à la fois si proche et pourtant méconnue.

Bruno Boudjelal, Restless Days: Algeria from East to West

Bruno Boudjelal, Restless Days: Algeria from East to West

Pouvez-vous nous présenter un peu ce livre ?

C’est une longue histoire. En 2003, j’ai été invité par les Rencontres Photographiques d’Arles, pour y présenter mon travail sous la forme d’un slide-show. À la suite de cette présentation, des gens sont venus me dire : « Faut faire un livre !»

Christian Caujolle m’a alors mis en contact avec les éditions La Martinière, maison avec laquelle j'ai travaillé pendant un an, mais le projet a été abandonné. Même scénario avec Acte Sud et un troisième éditeur, rien n’aboutissait. Au bout de quatre ans, en 2008, je me retrouvais donc sans aucun projet éditorial abouti. Et puis, hasard total, je me rends à Londres pour voir des amis que j’avais rencontrés aux Rencontres Photographiques de Bamako, lesquels travaillent beaucoup sur les droits de l’homme et la diversité culturelle et ont créé une structure nommée Autographe. Un soir, alors que nous dînons ensemble, ils me demandent : « Ce livre, tu veux pas le faire avec nous ? ». Je leur réponds « pourquoi pas. » Cette quatrième proposition a été la bonne.

Ce livre est devenu autre chose qu’un simple livre de photos. Aviez-vous, au départ, l’idée de mélanger les photos et vos carnets de voyage ?

Non. Personne ne connaissait l'existence de ces carnets. Cela fait seulement six mois que je suis capable de les montrer. J’allais régulièrement à Londres pour travailler sur le livre. Puis un jour, au printemps de cette année, je leur montre mes cahiers de voyage : deux gros livres regroupant des notes, des photos collées, des facsimilés… Et là, le graphiste et l’éditeur me disent : « Mais, pourquoi tu nous montres ça seulement maintenant ? ».

Bruno Boudjelal, Restless Days: Algeria from East to West

Pour résumer, c'est donc un peu un carnet de voyage photographique ?

C’est plus qu’un carnet de voyage photographique. C’est à la fois un parcours dans l’Algérie et dans le temps, mais aussi celui d’un photographe. Avec le recul, on réalise que tout ce qui tourne autour de la famille et son histoire est en noir et blanc, et que tout ce qui sort de ce cercle est en couleur.

Étiez-vous photographe avant l’Algérie ?

Non, pas vraiment. Avant 1993, j’étais guide en Birmanie.

Et vous pratiquiez un petit peu la photographie?

Je l’ai fait une fois. À l'époque, je travaillais pour l'agence Terre d’aventure. Un jour, ils me donnent un appareil pour aller faire des photos pour leur catalogue. Leur équipe a aimé mes clichés et réussi à me convaincre d'aller voir le magazine « Géo ». Cela devait être en 1992. J'ai donc rencontré la directrice du service photo qui, après avoir regardé mes photos me dit : « Ecoutez, c’est dommage d’aller dans d’aussi beaux pays et d’être aussi mauvais photographe... » (rires)

Qu’est-ce qui fait que vous ayez pris un appareil photo au départ ?

En 1993 j'ai mis fin à mon activité de guide. M'est alors venue l'idée de devenir photographe. Vous dire rétrospectivement pourquoi, je ne sais pas trop. N'étant passé par aucune école d'Art ni de photo et n'ayant suivi la moindre formation, je ne connaissais presque aucun photographe. Je venais juste de voir une expo : je pense qu'elle était de Sebastiao Salgado. Pour moi, la photographie, c’était avant tout du grand reportage lié à l'actualité. Donc, je me demandais où aller. J'ai finalement décidé de me rendre en Algérie et d'y retrouver ma famille paternelle.

Bruno Boudjelal, Restless Days: Algeria from East to West

Mais en fait, qu’est-ce qui vous a motivé à l’origine : faire de la photo ou retrouver votre famille ? L’un était-il le prétexte de l’autre ?

Je pense qu'en réalité j'étais tout simplement incapable de m'avouer : « voilà, je vais retrouver ma famille, comme ça, sans but particulier ni travail à faire sur place ». Je me donnais une sorte de contenance, c’était en quelque sorte une protection. Je suis donc finalement arrivé là-bas un soir de mai 1993, pour être aussitôt confronté à la violence… C'est vous dire ma profonde méconnaissance de l'Algérie à cette époque-là. Je débarquais avec le Guide Bleu !

Dès mon arrivée sur le territoire ont commencées les histoires : premier jour à Alger, je manque par deux fois de me faire tuer... les bruits, les balles qui explosent, le couvre-feu… Et là, après seulement une journée et demie dans la capitale, grande question : je reste ou je rentre ? J'ai finalement choisi de rester pour retrouver la famille. Faire de la photo, mieux valait oublier. J’ai bien à plusieurs occasions essayé de cadrer, mais aussitôt, grosses embrouilles.

Après quatre jours à Alger, je suis parti dans l’est. Ma famille est de la région de Sétif. Je n’osais même plus faire d’image, j'étais terrorisé. Je prenais seulement des paysages, une vue de mon balcon : la nuit de Tizi Ouzou vide, pendant le couvre-feu… Je ne pouvais faire que des trucs comme ça. Mais lors des voyages suivants, j’ai vite compris trois choses :
1) Qu'on ne pouvait pas cadrer.
2) Qu'il fallait utiliser de petits appareils pour ne jamais être repéré ni identifié comme photographe.
3) Qu'on ne pouvait pas même s’arrêter pour cadrer. De cette dernière contrainte m'est venue l’idée du mouvement. Quand j'étais dans un espace public, que ce soit à Alger ou à Constantine, la tension était telle qu'elle m'imposait de tout le temps bouger pour pouvoir photographier incognito.

Bruno Boudjelal, Restless Days: Algeria from East to West

Ce qui explique le flou de vos photos ?

Flou, mouvement, voilà. Beaucoup de gens m’ont interrogé par rapport à cette forme. Certains photographes l’utilisent par choix esthétique. Moi, au départ, je n'étais pas là-dedans. C’est dans une Algérie au bord de la guerre civile que, face à l'impossibilité de photographier sans risques, j'ai opté pour cette pratique assez radicale.

Bruno Boudjelal, Restless Days: Algeria from East to West

Bruno Boudjelal, Restless Days: Algeria from East to West

Sur vos dix années en Algérie, votre manière de photographier a-t-elle évolué, et si oui, comment ?

Bien sûr qu'elle a évolué. On est passé du noir et blanc à la couleur. Et disons aussi qu'avec le temps, ma technique s'est peut être affirmée.

Vous savez davantage passer inaperçu aussi ?!

Il y a surtout qu'après je ne me déplaçais plus seul. J'étais accompagné de mes cousins et de leurs amis. Tous des gamins du quartier le plus populaire de Sétif, et tous sont musulmans pratiquants. L'intérêt, c'est qu'ils m'ont toujours protégé partout où ils m'emmenaient avec eux, même à la mosquée, tout en sachant ce que je faisais.

Par la suite, tout le travail s'est fait en dehors de la famille, avec des amis que m'a présentés Hamida, une femme que j'ai rejointe durant l’été 1999, à Alger. Hamida étant une grande militante, je me suis très vite retrouvé dans un cercle de défense des droits de l’homme : celui d’une grande journaliste engagée qui s’appelle Salima Ghezal. Elle était la première femme à avoir dirigé un journal dans le monde arabe et avait déjà reçu les prix Olof Palme et Sakharov en 1997.

En 1993, année de mon arrivée, j'ai vite senti les ténèbres et mesuré le chaos dans lesquels était plongée l’Algérie. Je voulais me protéger en restant dans la famille. Mais six ans plus tard, je me retrouvais impliqué dans tout ce à quoi je tentais d'échapper depuis plusieurs années. Parmi les gens que je fréquentais se trouvait tantôt un ami responsable du collectif des familles de disparus, tantôt un autre rescapé d'un massacre, etc...

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Peut-on dire que cette expérience vous a fait devenir photographe ?

Oui, bien sûr. Mais je pense que c’est aussi la photographie qui est venue me chercher. Quand j’ai fait en 1993 ces premières images en Algérie, il n’y avait rien, tout au plus vingt photos.

Et puis un ami, ancien iconographe de L’autre journal, voyant mes photos, m'a suggéré de les proposer à Libération et à L’Évènement du Jeudi qui les ont publiées. Ce même ami m'a ensuite incité à demander une bourse à la DRAC, laquelle me l'a octroyée pour traiter un sujet sur la communauté turque. J'ai alors travaillé pendant un an sur la communauté turque en France, et fais une toute petite expo dans les locaux d'une association parisienne. À l'occasion de cette expo, j'ai rencontré le propriétaire de Cipa Presse, qui m'a proposé de travailler pour eux. J'ai accepté, mais au bout de cinq mois, j’en avais marre et j'ai arrêté. Je suis alors reparti travailler comme guide en Birmanie, pendant un an et demi. En avril 1997, lors d'un déjeuner avec mon père, je lui dis : Viens, on fait un voyage là-bas !

Nous avons fait un premier voyage en Algérie en juillet 1997. Deux jours avant de rentrer en France, mon père m'a dit : « Moi je reviens à l’automne pour faire une grande fête et j’invite toute la famille».  Pendant notre séjour en France est arrivée en Algérie ce qu'on a appelé la période des grands massacres, fin 1997. Dans les derniers jours d’octobre, mon père m'a appelé pour me dire : Écoute, j’ai deux billets pour Constantine. Est-ce que tu viens avec moi ? Nous sommes repartis tous les deux et il a fait sa fête. La suite a été rocambolesque et le retour un peu compliqué...

Un ami m’a appelé pour me dire : « Bon alors, les photos ? ». Je lui ai répondu que je n'avais rien développé parce que je ne pouvais pas, faute d’argent. Dix jours plus tard, une femme m’a à son tour contacté pour me dire : « bonjour, je
travaille à GEO, et j’ai entendu dire que vous avez été en Algérie ». 
Je lui répondu : « Vous savez, c’est une histoire personnelle, c’est en noir et blanc… »
Elle insistait : « Montrez-moi !Je lui dis : Je ne peux rien vous montrer parce que rien n'est développé ».
Elle m'a alors proposé : « Écoutez, allez à ce labo. Nous, on vous paye le développement des films et des planches contact. Ensuite, revenez me voir ».
Je l'ai fait. Elle a regardé les planches contacts pendant dix minutes avant de me dire : « Vous pouvez attendre un moment ? »

Et elle est revenue avec Jean-Luc Marty, le rédacteur en chef, qui m'a sorti un contrat en disant : Allez, on va publier l’histoire de votre père. Vous voulez ? En fait, GEO préparait pour le printemps 1998 un numéro spécial sur l’Algérie. C'est ainsi que l’histoire de mon père a été publiée.

Avec son accord ?

Avec son accord et aussi celui de la famille. Un mois après, l’article était également publié dans le New York Times, puis suivirent Stern et The Guardian. Autour de moi, plusieurs personnes me disaient qu'il fallait poursuivre le travail en Algérie. J'ai donc sollicité une bourse auprès du Fiac, que j’ai obtenue grâce au soutien de Christian Caujolle, le directeur de l’agence Vu. Et ce n'est vraiment qu'en 1998 que je m'enregistre officiellement en tant que photographe professionnel.

Si vous deviez faire un bilan de ces dix années de travail sur l’Algérie ?

Ces dix années… riches à de nombreux niveaux. Entre autre sur le plan personnel... Je ne pouvais pas avoir d’enfants avant d’y aller. J’ai eu ma première fille en septembre 1999. Impossible avant…

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Votre rapport avec votre père ?

Très compliqué. Quand mon reportage a été publié par GEO au printemps 1998, j'ai apporté le magazine, à ma famille en Algérie, non sans inquiétude. La réaction a été spontanément enthousiaste, très forte. Eux m'ont tout de suite dit : « À vie, on te devra ça, que tu sois venu nous rechercher, dans ce contexte, sans rien, sans information ! » - mon père, lui, y était opposé. Et je connaissais juste le nom de leur village.

En emmenant mon père avec moi en Algérie, je pensais pouvoir l’aider à se réapproprier son histoire, et ainsi nous donner une chance d'en reconstruire une nouvelle: tout a explosé, il n’a pas supporté. Probablement trop dur, trop douloureux. Mais vous dire exactement pourquoi... Et lorsque j'ai montré l’article de GEO sur mon père à mon grand-père français, le père de ma mère, il m’a jeté le magazine à la figure, en lâchant : « c’est un torchon ! »

Dès lors qu'on commence à remuer histoires et secrets de famille, les conflits sont fréquents. Toujours est-il que ça m’a éloigné de ma famille française. Au point de me retrouver le seul rayé de l'héritage quand mes grands-parents sont décédés...

En réalité, vous aviez donc des attentes : quête identitaire, retrouver votre famille algérienne... Mais vous ne vous attendiez pas à cette explosion ?

Non, non. Mais les rapports étaient déjà et depuis longtemps compliqués avec ma famille en France. Il y avait plein de secrets de famille. Un jour, pour obtenir un passeport, j'ai demandé un certificat de naissance avec filiation complète. Quand j'ai reçu le document, j'ai constaté qu'à l'origine je ne m'appelais pas Boudjelal mais Sombret. Alors je me suis demandé, mais c’est quoi cette histoire ?!

Cette histoire, que je connaissais en partie, est la suivante : quand ma mère est tombée enceinte, mon père est parti. Ma mère appartenait à la petite bourgeoisie. Mon grand-père, qui était receveur des postes, l’a mise à la porte. Mais quelque temps avant qu’elle accouche, il l'a reprise pour finalement l'emmener à la clinique où je suis né.

Ils m’ont reconnu, d’où mon nom français. Sauf que le lendemain-même de ma naissance et après m’avoir reconnu, ils m’ont emmené dans un institut pour enfants illégitimes où j’ai été abandonné durant 6 mois... un an... un an et demi ? ... Impossible de savoir.

Mais probablement pas plus, car le certificat attestait que mon père et ma mère s'étaient mariés en 1963, en même temps qu'ils m'avaient reconnu. De fait, j'ai pris le nom de mon père. Mais j'ignorais tout ça avant d’avoir le certificat en mains. Et donc de creuser rien que ça…

Maintenant, mes parents et moi ne nous parlons plus. Mais à l’époque où la relation n'était pas rompue et où mes grands-parents étaient encore vivants, si j'osais leur demander : « Par rapport mon abandon dans cet institut, combien de temps m'y avez-vous laissé », personne ne me répondait. Comme quoi, vous ouvrez un tiroir et un autre s'ouvre aussitôt. Du côté de ma filiation française, cet épisode a fait exploser tous les liens familiaux. D'un côté, celui où je me nourrissais de cette part d'Algérie, les liens se renforçaient. De l'autre, les relations se sont complètement délitées. Ils ont mal accepté.

Bruno Boudjelal, Restless Days: Algeria from East to West

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Votre expérience en Algérie vous a-t-elle reconstruit ?

Elle m'a aidé à me reconstruire tout en déconstruisant d'autres choses. Je pense que ces histoires de secrets sont le propre de nombreuses familles. Mes parents et grands-parents faisait tout pour me taire cette origine algérienne. Comme s'il y avait eu quelque chose à cacher, quelque chose de pas bien.

Un jour, dans le sud de la Chine - j’étais guide et voyageais en Asie en faisant souvent de longs trajets en bus très inconfortables, j’étais assis à côté d’un vieux monsieur espagnol et nous discutions. Lors d’un contrôle de police, en voyant mes papiers il me dit :
– Mais, tu es français, toi ?
– Oui.
– Mais ton nom là, c’est quoi ?
– Mon père est d’origine algérienne.
– Et elle elle vit où ta famille ?
– En France.
– Mais, la famille en Algérie ?
– Je ne connais pas ma famille en Algérie.

Il m'a alors demandé si j'envisageais d'aller les voir. Quand je lui ai répondu ne pas en avoir l'intention, il m'a dit « tu verras, un jour, ça va te tomber dessus et tu devras y aller ! »

Quelles sont vos influences artistiques?

Au départ, la photographie, c’est une affaire de hasard. Quand j'ai commencé, je ne connaissais rien et n'avais aucune référence. Je suis venu à la photo par le cinéma. Mon rapport le plus intense à l'image était avec le cinéma, avec les images animées. Antonioni, Cassavetes… J’ai vu quantité de films. Depuis le lycée je suis fana de cinéma.

Quand on s’attarde sur votre travail, sur vos quêtes, on a envie de vous rapprocher de Patrick Zachmann ou même de Depardon …?

Peut-être… Il y a plein de photographes que j’aime bien : Antoine D’Agata, Michael Ackermann, Max Pam

Quelles sont vos techniques de prédilection ?

Je travaille en argentique, mais aussi parfois avec n’importe quoi. Après l’Algérie, cette envie de multiplier les techniques de prises de vue s'est encore plus affirmée. Pendant cinq ans, j'ai parcouru l’Afrique, de Tanger au Cap, par la route. Là, je reviens de Bamako (Rencontres photographiques, ndlr) où j'ai montré mon travail, toujours avec les photos et les textes, mais aussi avec des films super 8 et de la vidéo.

Vous travaillez avec « n’importe quoi, de manière indisciplinée », mais c’est un choix, n’est-ce pas ?

Tout à fait. Là, je viens de partager un important travail avec un photographe ghanéen, Nii Obodaï. Nous avons fait un livre sur le Ghana, qui va sortir bientôt. Et bien, j'ai pris toutes les photos de jour avec l'appareil en plastique d’une de mes filles. Je travaille avec de la 400 ASA, ou même de la 200 que je pousse à 3200. Maintenant on va vers des pratiques un peu extrêmes (rires).

Bruno Boudjelal, Restless Days: Algeria from East to West

Quels ont vos projets ?

Il y a ce livre sur le Ghana, qui va sortir. Il est aussi question de faire tourner l’exposition « Jours Intranquilles ». Elle devrait d'ailleurs être présentée en Algérie.

Il y a également l’exposition sur la traversée de l’Afrique qui a déjà été présentée aux rencontres photographiques de Bamako (nov 2009, ndlr). Aujourd'hui, l’idée est de la montrer ici. Peut-être aussi de faire un livre, mais ce projet pas encore fini. Et enfin, il y a des endroits où je voudrais retourner.

Pendant ces cinq ans, j’ai entre autres choses supervisé beaucoup d’ateliers avec de jeunes photographes africains. Là, c’était une autre histoire, une histoire forte. Par exemple, à la biennale de la photo de Bamako, j’ai présenté trois jeunes qui avaient travaillé dans ces ateliers, deux d’entre eux ont eu un grand prix : Baudouin Mouanda, du Congo Brazzaville, et Abdoulaye Barry, du Tchad. Et, bientôt, pour le musée Niepce à Châlon-sur-Saône, avec mon amie Salima Ghezali, nous devons commencer une nouvelle série sur l'Algérie. Nous avons carte blanche.

Enfin, je pars en Corse, cette année, pour une commande. Il s'agit de réaliser un reportage sur l’un des quartiers les plus déshérités de Bastia, où une très vieille école va fermer, à Pâques. On me demande d’intervenir dans l’école, mais aussi dans le quartier, avec les habitants : pour la plupart des nord-africains, des gitans… une population particulièrement défavorisée.

Vous aimez travaillez sur les limites, les « bords » ?

Pour les 20 ans du magazine VU, une commande a été passée auprès de quinze photographes avec une thématique sur Paris. J’ai pris la thématique des bords, des limites, du passage de Paris à la banlieue. C’est un travail en cours, que j’ai pour l'instant arrêté. J’ai beaucoup de mal. Je viens de la banlieue. Je suis natif des Bosquets, à Montfermeil. L’idée de travailler sur la banlieue a toujours été sous-jacente. J’ai longtemps pensé qu’après ce travail en Algérie, après m’être réapproprié une part de mes origines, je pourrais aussi retourner sur les lieux de mon enfance.

Je suis un pur produit de la Seine-Saint-Denis. Je pense qu’il y a aussi une histoire à faire avec ça, je ne sais pas, je dois d'abord trouver l’angle…

Quand, en 2005, des émeutes ont éclaté à Clichy sous-Bois, sachant que je venais de là-bas, Libération m’a demandé d’y aller. J’ai refusé. Cela n’avait aucun sens. Je me suis toujours tenu éloigné d’une certaine approche médiatique de la banlieue. J’ai pourtant été souvent sollicité là-dessus. La Seine Saint-Denis me propose de réaliser des voyages dans le département sur une période d’un an. Peut-être que ce sera ça.

La réalisation, ca vous tente ?

Je pense. Il y a l’idée de passer au film. Récemment, j’ai rencontré deux artistes : Alfredo Jaar, qui est chilien, et Marcelo Brodsky, argentin, qui font un travail mêlant écriture, vidéo, installations. J’ai été très stimulé par leurs travaux. En ce moment, j’ai du mal à m’enthousiasmer pour la photo, même si ça m’arrive encore, comme pour l’expo Diane Arbus à Londres il y a 2 ans. Mais je ressens plus de choses avec des supports plus variés.

Article par Fleur Jouas & Blanche Lepetit

Correspondances:

Turjoy Chowdhury
Guillaume Flandre