Maria Letizia Piantoni
Elle quitte le milieu de la photo en 1998, pour y revenir seulement dix ans plus tard avec sa série « Stanze » (shortlist du prix HSBC 2010). « Ce qui rend possible l’expérience, c’est la mémoire qui introduit le passé dans le présent et rassemble plusieurs moments du temps en une intuition unique, imprégnée à la fois de passé et de futur ».
Maria Letizia Piantoni Stanza 12, sud barre 1, Stanza 12, 6ème étage ouest barre 1, Stanza 19, 1er étage ouest barre 2, Stanza 20, 19 ème étage barre 2, Stanza 6, Stanza 172, barre 1
Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Actuellement, je suis une « jeune vieille » photographe. Après des études aux Beaux-arts de Florence, j’ai travaillé trois ans à Paris auprès de l’Union Latine, une organisation intergouvernementale, avant de me tourner vers la photographie. Photographe de studio pendant une dizaine d’années, j’ai ensuite cessé la photographie durant une très longue période, avant d’y revenir seulement en 2008.
Depuis quand pratiquez-vous la photographie ?
En réalité, j’ai toujours photographié mentalement… Bien avant d’avoir un appareil dans les mains.
Si vous deviez citer un photographe qui vous inspire particulièrement, qui serait-il ?
Georges Rousse , dont le travail me touche beaucoup.
Avec quel matériel travaillez-vous ?
Cela dépend. Je ne suis pas une grande technicienne, mais selon le sujet et les possibilités, j’aime travailler à la chambre ou en 24×36. Moins souvent en moyen format. Aujourd’hui, je travaille beaucoup avec un Nikon numérique : en vrai dinosaure, il m’a fallu du temps pour l’apprécier, mais maintenant nous nous comprenons bien.
Comment définiriez-vous votre travail ?
L’exploration émotionnelle de la mémoire m'intéresse depuis mes premiers pas en photos. Mémoire d’architectures vides ou vidées, mémoires de villes qui ne gardent du passage des hommes que des traces fantomatiques, mémoire d’instants quotidiens que l’on pense insignifiants. Tout se joue sur cette relation de présence et d’absence. Je fais de la photo « documentaire » subjective.
Nous aimons particulièrement votre série «STANZE». Pouvez-vous nous raconter sa genèse?
J’ai commencé à suivre le travail de démolition de la première barre d’une cité de l’île Marante, en banlieue parisienne, au printemps 2007. J’ai toujours été attirée par l’architecture et par les jeux de lumière dans des volumes clos. Et dans mon parcours de photographe, après dix années en studio, ce travail a été un véritable retour aux sources. Toutes ces pièces, pareilles et différentes à chaque fois, m’ont émue et attirée. Une pièce qui contenait d’innombrables répliques d’elle-même… J’y suis retournée une infinité de fois et par tous les temps. Cette année, j’ai suivi la démolition du deuxième bâtiment que j’avais vu encore habité. Aujourd’hui, ces deux barres n’existent plus, mais je poursuis ma recherche sur d’autres chantiers et je retrouve souvent ce même état d’apaisement et de contemplation.
J’ai la chance de pouvoir prendre mon temps dans ces lieux où je suis presque toujours seule pendant plusieurs heures. Nous nous rencontrions avec les ouvriers lors des temps de pose. Des moments pendant lesquels on discute beaucoup. Mais nous ne travaillions jamais au même étage. Pendant les premières phases de la démolition, les changements sont graduels et on a tout le temps de les observer. Mais il y a partout trop d’informations, trop de gravats qui dénaturent les lignes simples des lieux.
C’est après la phase de désamiantage que les espaces deviennent réellement poétiques à mes yeux. Quand il ne reste presque plus rien, et pourtant… Un pense bête est resté accroché au mur, à côté d’un dessin d’enfant… un mobile est encore au plafond d’une chambre qui n’existe plus. Les murs de séparation ont été abattus et les volumes acquièrent une toute autre signification. Mais, dans cette étape de démolition, tout va très vite. De l’extérieur, le bâtiment est littéralement « dévoré » par grignotage. Des pièces se retrouvent ouvertes sur l’extérieur et elles disparaissent en quelques heures. Des couloirs éventrés et on est déjà dehors.
Si vous deviez choisir un seul de vos clichés, lequel serait-il ?
Une des images que je préfère est la « Stanza n°2 ». On m’a souvent conseillé de l’enlever de la série… Parce qu’il y a « trop de vide ». Mais c’est exactement « ce vide » qui m’attire.
Cette série a eu un beau succès, avez-vous gagné des prix?
Pouvez-vous nous en dire plus sur cet aspect de la photographie, ses concours, ses prix?
En fait, quand j’ai décidé en 2008, de reprendre mon travail de photographe, j’ai travaillé simultanément sur une série personnelle et une commande pour le même chantier. La série Stanze est volontairement « obsessionnelle », toujours frontale, toujours dans un rapport d’extérieur/ intérieur. N'ayant jamais participé à des concours auparavant, j’ai voulu montrer ce travail qui avait réveillé en moi une infinité de choses. Être dans la sélection HSBC, puis recevoir le prix Roger Thérond ont été pour moi de véritables déclencheurs. C’est important de participer. On apprend beaucoup ; sur son propre travail et sur le travail des autres. On renforce sa confiance ; on rencontre d’autres photographes et des experts et un véritable échange commence.
Qu’aimez-vous dans la photographie ? Quels sont vos petits plaisirs ?
J’aime par-dessus tout la lumière. J’aime les histoires, les écouter et les raconter. J’aime les rencontres. Quand une porte s’ouvre « vers quelqu’un », c’est un moment d’intimité et de plaisir partagé dans la « confiance » de l’échange. Mais, les moments de solitude et de contemplation me procurent aussi un plaisir immense. Ils me permettent de me retrouver.
Quelque chose à ajouter?
Ce qui rend possible l’expérience, c’est la mémoire qui introduit le passé dans le présent, rassemblant ainsi plusieurs moments du temps en une intuition unique, imprégnée à la fois de passé et de futur.