Dany Leriche & Jean Michel Fickinger
L’équipe de Fill-in a rencontré Dany Leriche et Jean-Michel Fickinger. Professeurs aux Beaux-Arts de Nancy, mais également dans une école de Bamako, ces deux photographes représentés par la galerie Baudoin Lebon se présentent pour fill-in.fr, entre une exposition à Paris Photo et un voyage au Mali!
Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Dany Leriche : je suis une artiste plasticienne. Depuis une quinzaine d’années, je suis connue pour mes photographies dont je suis « le metteur en scène ». Je travaille avec Jean-Michel Fickinger, mon compagnon de route depuis de nombreuses années. Il est directeur de la photographie et s’occupe des retouches numériques, ainsi que des constructions 3D quand celles-ci sont nécessaires pour certains décors.
Depuis quand pratiquez-vous la photographie ?
Jean-Michel Fickinger : sérieusement, depuis 1978
Comment avez-vous découvert la photographie ?
Dans un labo amateur, en regardant quelqu’un faire des tirages ; c’était magique.
Avec quel type de matériel avez-vous débuté ?
Rolleicord et Nikormat
Quelques anecdotes sur les étapes de votre apprentissage ?
Sans rentrer dans les détails (il y aurait trop de choses à raconter), les meilleurs souvenirs sont ceux de la période d’assistanat au studio Pin Up.
Avec quel matériel travaillez-vous ?
Moyen format en argentique, plus rarement la chambre et le 24×36 en numérique
Quel(s) type(s) de photos réalisez-vous ?
Allégories, grandeur nature, représentées par des femmes nues avec attributs, qui vont définir des notions abstraites, comme par exemple la Philosophie, la Virilité, la Beauté de Femmes, la Destinée etc..
Une raison particulière à cela?
savoir d’où l’on vient…
Êtes-vous attiré par un autre type de photos ? si oui lequel ?
Toutes les mères et filles de tous pays m’attirent et me questionnent sur les notions de Famille, de Transmissions, d'Héritage culturel, de Liberté, de choix de vie, de travail, d’Amour, etc…
Pourquoi avoir choisi ce sujet ? Vous touche-t-il personnellement ?
Dans quelques jours, nous retournons au Mali, pour photographier des Mères en Madones face à leurs enfants. Ces enfants seront présentés comme dans des aquariums où l’eau montera, remplissant progressivement l’image jusqu’à les submerger. Le problème de l’eau est très présent au Mali et draine beaucoup de drames.
Dany Leriche & Jean Michel Fickinger, Mali, demain est encore hier
Comment avez-vous abordé le sujet ? Préparation ? Contacts ? Recherches préalables ?
J’ai obtenu la Villa Médicis hors les murs pour aller en Sierra Leone travailler sur les Femmes Mandés. Elles sont les seules Femmes en Afrique à dessiner et concevoir leurs masques, en plus de diriger la politique et l’économie… Mais nos visas ont été refusés au prétexte d'une fin de la guerre ; pays jugé encore trop dangereux. Je me suis intéressée au Mali à travers un cinéaste sénégalais : Ousmane Sembene dont le film sur l'excision - « Mooladé » - m’avait très impressionnée. Mais au Mali, le sujet reste trop sensible pour être traité par des occidentaux.
Après quelques temps sur place, ce sont les enfants et les mères qui, par leur immense désir d’être pris en photo, nous ont incités à développer le sujet de la Famille Malienne.
Quelle a été la réaction des personnes que vous photographiez ? Comment ont-elles réagi à votre idée ?
Par un grand enthousiasme général, exception faite de quelques réticences pour cause de religion musulmane, de la part des mères, car pour les enfants, il y avait une telle queue que l’on s’est senti envahi et dépassé par le nombre.
Comment avez-vous géré l’éclairage ? Le placement des sujets ?
Eclairage naturel indirect; les sujets étaient placés en fonction de la lumière et dirigés comme en studio
Pour les Allégories, la recherche est différente, d’abord, parce que les modèles sont nus, de tous les âges et doivent correspondre intellectuellement et psychologiquement à ce que je recherche. C’est une communion que l’on doit ressentir ensemble car chacune nous nous exposons entièrement ! Il y a aussi cette part de plaisir que l’on prend à construire des images dans lesquelles nous nous identifions.
Pourquoi le studio ?
C’est un outil idéal pour la mise en scène
Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler avec des lumières artificielles ?
C’est le travail en studio qui impose la lumière artificielle; les studios lumière du jour sont très rares.
Comment se présente votre studio ?
Un espace vide avec suffisamment de recul pour pouvoir photographier un groupe d’environ sept personnes en pied.
Pouvez-vous nous expliquer le placement des sources ?
Tout dépend de la photo en cours; en général source principale de gauche à droite (pour respecter le sens de lecture des occidentaux)
Comment se déroule une séance ?
Maquillage, polas ou tests numériques, prise de vues, pastis.
Quels sont vos rapports avec les modèles ?
Un grand respect.
Avez-vous aussi des maquilleuses ?
Oui, nous en avons une; elle s’appelle Florence et travaille avec nous depuis 1992
Le thème de la séance est-il défini au préalable ou improvisez-vous tout au long du shoot ?
Le thème est toujours défini avant, mais la prise de vues reste suffisamment ouverte pour saisir une opportunité si elle se présente; rien que le mot « improvisation » dans le contexte d’une prise de vues m’angoisse.
Comment choisissez-vous vos destinations de voyages/reportages!?
En fonction des sujets que l’on veut traiter, mais aussi des connexions, car sans rencontre, pas de photos…
Comment s’organise ce genre de voyage ?
C’est une très longue préparation, ne fut-ce que pour trouver des bourses et ensuite pour établir les connexions.
Une fois là-bas, que faites-vous ? Comment se déroule votre “séjour” ?
On tâtonne, on cherche, on reste ouvert, on oublie ce que l’on a appris, on reste très attentif à ce qu’il se passe et on laisse les préjugés derrière soi.
Quelles ont été vos grandes déceptions ?
Ne pas pouvoir faire plus de voyages pour réaliser le projet des « nouveaux paysages familiaux de la mondialisation ».
Et au contraire, vos plus belles satisfactions ?
Au Mali, la remontée en pinasse de Mopti à Tombouctou, par le lac Debo ; un passage hors du temps!
Pouvez-vous nous raconter vos débuts ? Votre premier reportage ? Vos premiers contrats… ?
Jean-Michel a commencé par photographier mes travaux artistiques. J'étais subjuguée par le travail d’interprétation qu’il en avait fait, comparé au travail d’illustration traditionnel. Quand bien plus tard nous avons réalisé notre première photo ensemble, j’ai eu le sentiment que quelque chose d’intense se produisait. Je suis en générale très patiente et prends beaucoup de temps pour mettre en place les conceptions. Mais au moment de la réalisation, je deviens plus impatiente et moins pointue. Lui, c’est tout le contraire, ce qui fait que l’on se complète assez bien…
Appliquez-vous un ou des traitements à vos photos ? Si oui, lesquels ? Qu’apporte d’après vous ce ou ces traitements ?
En argentique, nous utilisions le traitement croisé pour « booster » le contraste des images couleur; ça permettait de gommer l’aspect trop réaliste des nus.
Comment définiriez-vous votre travail ?
Je suis très contente de la qualité de mes photographies et aussi du rapport au monde qu’elles génèrent. J’aimerais me consacrer entièrement à elles.
Que pensez-vous de la photographie aujourd’hui : (nouvelles technologies, tendances, démocratisation de la photo etc.)?
J’utilise les technologies numériques ; ça fait un moment que je ne les appelle plus « nouvelles » ; elles me facilitent la vie en me donnant accès à un panel de possibilités. Des possibilités qui toutefois existaient en argentique, mais auxquelles je devais renoncer pour des raisons économiques. Cela dit, je ne crois pas aux tendances.
Si vous deviez choisir un seul de vos clichés, lequel serait-il ? Pourquoi ?
Le prochain ; parce que c’est à chaque fois une nouvelle aventure.
Avez-vous des projets ou des idées dans ce domaine ?
J’ai plein de projets et d’idées dans le domaine de l’image, mais comme Fermat, « la marge est trop étroite pour les contenir »